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Ce jour là, à Paris, il y avait une manif. Alors, une fois arrivées sur les lieux, nous nous sommes mises à remonter le cortège, sur le trottoir. Les rares personnes que nous devions dépasser -la majorité étant sur la route- se poussaient l’air gêné dès qu’elles remarquaient ma présence, elles tapaient sur l’épaule de leurs voisins en leur jetant un regard empressé, l’air de dire : ¨Pousse toi, tu ne vois pas que la pauvre demoiselle en fauteuil essaie de passer ? » Soit. Pourquoi pas. Mais je suis heureuse, vous savez ? Une chose m’a fait sourire, alors que nous filions le long de la manifestation. Ce jour là, en plus du fauteuil, j’avais une attelle au poignet, et, alors que nous dépassions un groupe de jeunes, l’un d’eux a couru vers moi en rigolant, me tendant son poignet lui aussi couvert d’une attelle : « Viens, on fait une manif des handicapés ! » C’était génial. J’étais redevenue à ses yeux une ado tout comme les autres, à qui on pouvait parler, avec qui on pouvait rigoler. Jeune homme, si tu te reconnais, sache que je t’ai aimé très fort, à ce moment précis. ♥
Une fois notre ami repéré dans la foule, il a fallu progresser jusqu’à lui. Et là, je me suis rendue compte de cette capacité inexploitée du fauteuil roulant : la cape d’invisibilité ! Quand tu es en fauteuil et que quelqu’un se pousse, on s’adresse toujours à cette personne : Myriam recevait donc toutes les excuses des ceux que l’on heurtait. Oui, parce que quand tu es en fauteuil et que tu cognes quelqu’un, c’est cette personne qui s’excuse, pas toi ! Tu peux jouer aux autos-tamponneuses et personne ne te gronde, tout le monde s’écarte en culpabilisant. Nous avons testé pour vous « rentrer volontairement dans des gens à faible vitesse », et, dans 100% des cas, la cible bafouille, s’excuse et s’écarte. C’était bien drôle. Et préoccupant quant à l’image qu’ont la plupart des personnes des gens en fauteuil.
Comme le dit Wheelcome : « Et je suis super vexée que même la police me considère comme un bisounours, et ne me prenne même pas au sérieux. J’aurais trop aimé être une grande criminelle, crainte et menaçante, mais on me prive du droit fondamental d’être méchante ! C’est hyper frustrant.«
A un moment, mon fauteuil a frotté contre un monsieur avec un enfant dans les bras. Il m’a regardé, l’air surpris, m’a dit qu’il ne m’avait pas vue. J’ai essayé de dédramatiser avec le sourire vu son air affolé : « C‘est vrai que je suis un peu bas, on ne me voit pas bien. » « Non non, c’est pas ça, je ne vous ai pas vue à cause de mon fils ! » Et il s’est enfui, l’air complètement paniqué. Un peu comme une poule lorsqu’elle se rend compte qu’elle n’a qu’un seul neurone. Hé, monsieur, c’est pas la fin du monde de se cogner dans quelqu’un, même si l’une des deux parties concernée a des roulettes !
Devant l’air coincé de toutes ces personnes, j’ai failli leur faire une blague : me lever en tremblant et crier au miracle car j’arrivais à marcher ! J’aurais bien rigolé, eux peut-être moins. Encore un problème : pour la plupart des humains qui se promènent dans ce pays, quelqu’un en fauteuil a perdu définitivement et irrémédiablement l’usage de ses jambes… et non ! Le fauteuil est un outil également utilisé pour se reposer / soulager / ne pas forcer.
Ce qui m’a vexée, c’est aussi la photo de groupe prise à la fin de la manif. Avec Myriam, on était venues pour un ami, pas pour prendre parti -surtout qu’on ne connaissait que lui dans le groupe. Et là, on m’attrape et on me met devant. Sans le fauteuil, je n’aurais jamais été sur cette photo. J’avais l’impression qu’une pancarte trônait au dessus de ma tête : REGARDEZ ON EST DES GENS COOLS ON AIME LES HANDICAPÉS. Hermine, bien attrapée. Sur le coup, j’ai pas trop su quoi dire, je n’ai pas trop osé râlé, ils étaient trop nombreux. Et je n’avais pas encore le courage de taper un scandale devant tant de monde. Je le regrette beaucoup maintenant, ce manque de réaction de ma part.
Ce qui m’a marqué, également, c’est le fait d’être aussi passive. Avec mes bras fragiles, je ne pouvais pas aller bien loin toute seule, j’avais très vite mal. De toutes façons, diriger le fauteuil était un peu délicat. Alors, on me serrait les freins pour que je ne glisse pas, et je me retrouvais coincée : une pauvre petite crevette dans un gigantesque filet de pêche. Je me laissais faire. On me roulait, on me promenait, heureusement que j’avais encore de la voix pour rappeler mon existence !
Un ami m’a même attrapée et nous a transformé en voiture de course sur les pistes cyclables : le fauteuil tremblait, je me cramponnais, les passants nous regardaient de travers et nous riions aux éclats. Ça, c’était un moment chouette.
Oui, l’accessibilité est loin d’être acquise, les personnes en fauteuil encore considérées comme étranges, incapables de communiquer ou d’être comme tout le monde, les roulettes ne sont pas des pieds comme les autres pour pas mal de gens, mais mon bilan de cette journée est plutôt positive : dans le SED, le fauteuil roulant est un allié de choix ! Il m’a permis de passer une journée avec des amis sans craindre de crise le lendemain, de fatigue extrême ou de douleurs insupportables ; il m’a permis d’être un peu plus insouciante, d’arrêter d’estimer le nombre de pas que je pouvais encore faire, de vérifier l’heure à laquelle nous devions rentrer, de craindre chaque escalier ou pente un peu raide.
Être une Hermine sur roulette, c’est un peu chouette !
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